lundi 28 décembre 2009

Chapitre 1

Incontournable rituel


17 heures cinquante. Mlle Poirier tirait les rideaux sur la lumière drue et poussiéreuse de l’été. Soupirait de commisération pour son ego. De colère rentrée aussi. Une nouvelle canicule s’amorçait-elle ? L’obligeant à l’humiliante déclaration en mairie en tant que personne seule et âgée. Comme si Napoléon ne se chargerait pas d’ameuter tout le voisinage et que certains de ses voisins, plus jeunes mais plus mal lotis qu’elle, devraient se sentir davantage concernés…
De toute façon, fraîcheur ou pique de chaleur aurait le dernier mot. Là, plus moyen de tricher ou d’obtenir la moindre des faveurs. La seule justice, en ce bas monde, avec la maladie ou la mort. Surtout que maintenant, il suffisait de passer par Zürich !
Tout en branlant du chef sur une vieille rancune découlant de celle qui venait de lui échauffer le cerveau, Mlle Poirier lissait du plat de la main la nappe fraîchement repassée. Rectifiait l’emplacement de ses six chaises, pourtant alignées au cordeau. Réajustait l’angle du canapé. Jetait un dernier coup d’œil. Enclenchait sa télévision.
Ainsi qu’à l’accoutumée, aucun détail n’aurait été négligé pour accueillir dignement les hôtes illustres qui allaient défiler dans son salon !
- Tu vois, mon Napoléon, à chaque fois que ça me remonte, comme le fiel de ma mauvaise digestion, je manque d’en avaler le dentier que je suis sensée porter…
A peine dépassé les soixante-dix ans et outrageante de santé, n’être considérée que comme une « mamy » potentiellement en danger, portion congrue d’une société qui nous reproche de lui coûter au lieu de réfléchir à la manière de nous employer (sauf votre respect, M. notre nouveau Président, car vous, vous y pensez,) c’est « chelou, » comme dirait Laly !
Mais toi, tu t’en moques, et aie la décence de ne pas protester. A la retraite, tu y as toujours été. Pousse-toi, tu m’empêches de terminer.

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